Après trois premiers ouvrages publiés dans la collection de poésie taïwanaise en 2017 des éditions Circé, qui, avec Luo Fu (洛夫, 1928-2018), Hsia Yu (夏宇) et Chen Li (陳黎) nous donnaient un premier aperçu de la scène poétique taïwanaise en perpétuelle effervescence, trois nouveaux ouvrages paraissent en novembre de cette année.
La première série comptait un poète dit « moderniste » (Luo Fu, trad. Alain Leroux), un poète dit « du terroir » (Chen Li, trad. Marie Laureillard) et une poétesse inclassable (Hsia Yu, trad. Gwennaël Gaffric). Le nouveau trio comporte également des poètes aux âges et aux parcours variés : Zhou Mengdie (周夢蝶, 1921-2014), Chen Yuhong (陳育虹) et Hung Hung (鴻鴻).
Zhou Mengdie (Une Lampe dans la forêt dense, traduit par Alain Leroux) appartient à cette génération de Chinois coupés du continent par les aléas de l’histoire, devenus poètes « modernistes ». Cherchant à s’ancrer dans l’ancienne pensée chinoise comme le montre le choix de son pseudonyme Mengdie (« rêve et papillon ») en référence au grand penseur taoïste Zhuangzi (莊子, v. 369 av. J.-C. – v. 286 av. J.-C.), il crée un univers dense, où images et motifs s’entremêlent avec cohérence. Sa poésie figure les traits d’un homme en marche au regard tourné vers l’intérieur de lui-même, qui cherche à surmonter la solitude affective en cherchant la voie de la sagesse.
Chen Yuhong (Je te l’ai déjà dit, traduit par Marie Laureillard), deuxième voix féminine de la collection, s’exprime elle aussi par le biais d’images dans un univers imprégné de sensualité, de sentimentalité et de nostalgie. Voyageuse à l’esprit cosmopolite dont le regard dépasse largement les frontières de son île natale, de la Chine et même de notre planète pour embrasser le cosmos, elle ne révèle aucun détail autobiographique. Sa poésie foncièrement apolitique, à l’atmosphère douce-amère, célèbre inlassablement la mer, la faune, la flore, tout en manifestant une attirance pour la pensée bouddhique.
Hung Hung (Le Passe-muraille, traduit par Camille Loivier) est un poète qui tente de changer le monde par le biais des mots, de se faire le porte-parole des plus démunis, de se faire l’écho des conflits politiques et sociaux, de la crise environnementale. Il se sent citoyen du monde, voire membre de la communauté de tous les êtres de la terre. Egalement actif dans les domaines du théâtre et du cinéma, ce poète engagé ne se livre guère sur lui-même, convaincu que l’identité individuelle n’importe guère et que chacun passe simplement d’une vie à l’autre, d’un corps dans un autre, tel un « passe-muraille ».
Ce sont donc trois nouvelles facettes du paysage poétique taïwanais que révèlent ici les éditions Circé, qui en montrent bien la diversité, la singularité et le cosmopolitisme.