J’aime Hwang Chun-ming

9782070136544Considéré comme l’un des représentants éminents de la « littérature de terroir » – un mouvement lancé dans les années 60 à Taiwan –, Hwang Chun-ming [黃春明], né en 1935 dans le district de Yilan, entretient paradoxalement une distance polie avec les lieux dans lesquels se déroulent ses histoires. Dans les quatre nouvelles composant le recueil J’aime Mary, dont on doit la traduction française à Matthieu Kolatte, ces lieux – une petite ville anonyme, la rue d’un quartier résidentiel de Taipei, la voie commerçante d’un gros bourg bordée d’arcades – sont décrits en quelques mots, sans détail superflu. L’action pourrait prendre place presque n’importe où à Taiwan, semble suggérer l’auteur.

Ce sont donc principalement les personnages qui donnent aux récits de Hwang Chun-ming leur saveur locale. Comme dans Le gong, longue nouvelle dont la traduction française est parue en 2001 chez Actes Sud, les héros sont ici des hommes ordinaires, des gens de peu ou qui, cherchant s’élever socialement, se heurtent à un plafond de verre. Ainsi, dans la nouvelle qui donne son titre au livre, un cadre d’entreprise, pour s’attirer les bonnes grâces de son employeur américain, recueille la chienne de ce dernier et se prend de passion pour l’animal, au point d’en délaisser sa propre famille. Dans La poupée de son fils, un jeune père s’improvise homme-sandwich pour subvenir aux besoins de sa famille, mais se retrouve, dans l’œil de son fils, réduit à la figure d’un pantin. Avec Le chapeau de Hsiao-chi, Hwang Chun-ming dépeint un jeune homme devenu un peu par hasard représentant pour une marque d’autocuiseurs et qui, envoyé dans une petite ville côtière, se prend d’affection pour une étrange fillette, au point d’adopter un comportement des plus irrationnels. Enfin, dans Le goût des pommes, un ouvrier du bâtiment est renversé par la voiture d’un officier américain, un accident qui bouleverse la vie de toute sa famille. Presque à chaque fois, chez Hwang Chun-ming, les personnages voient la course des événements transformer leur destin sans qu’ils y puissent – ou y comprennent – grand chose.

Dans un style clair et incisif qui n’a pas vieilli, l’auteur croque ses personnages avec une grande humanité mais sans se départir de l’humour caustique qui est sa marque de fabrique. Au passage, il décrit les transformations d’une société taiwanaise marquée par l’influence américaine et l’introduction de formes modernes de production et de consommation.

Ces récits, très vivants, accordent une place centrale aux dialogues. Pour l’auteur, c’est surtout le verbe qui donne chair aux personnages. Les langues parlées – le taiwanais, le mandarin ou l’anglais – définissent leur être tout en trahissant leurs impasses. Si cesvariations sont difficiles à rendre en français, elles donnent au lecteur une prise directe sur les personnages, leurs pensées intimes et leur manière toute taiwanaise de voir la vie. On attend avec impatience la traduction d’œuvres plus récentes de cet auteur majeur toujours prolixe.

Cet article, signé Pierre-Yves Baubry, a été publié dans le numéro d’août 2014 du magazine Taiwan aujourd’hui qui en a autorisé ici la reproduction.

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