Les cartes postales musicales de Chen Li

Le titre d’un recueil de poésie, parce qu’il tient la corde dans l’acte de dire et de nommer, agit sur le lecteur comme un fruit du dragon sur un plateau de fruits coupés, colorant, par contact ou par contraste, l’ensemble des poèmes regroupés dans un même ouvrage. Cartes postales pour Messiaen, recueil de poèmes de l’auteur taïwanais Chen Li (陳黎) publié en mai 2017 aux éditions Circé dans une nouvelle collection « Poésie de Taïwan », prend ainsi d’emblée une teinte musicale.

La sélection effectuée par Marie Laureillard, traductrice attitrée de Chen Li pour le français et directrice de cette nouvelle collection, n’est pour l’essentiel pourtant pas inédite. Mais là où Les Confins de l’île, premier recueil en français du poète paru en 2009 chez Tigre de Papier et que l’on devait à la même traductrice, insistait sur l’exploration par l’auteur des différents visages d’un Taïwan métissé et sur les jeux d’une poésie visuelle, la composition est ici légèrement différente. Oui, sans doute est-ce la force du titre : le lecteur tend l’oreille, aussitôt frappé par l’omniprésence du thème musical.

Poète mélomane, Chen Li est inspiré par un Lieder de Schubert entendu à la télévision, et écrit d’après la musique de Messiaen, Debussy, Nono, Webern ou Takemisu. Plus avant, il emprunte aussi à toutes les formes de l’art musical et vocal – chant, berceuse, chanson, aria, adagio – pour lancer ses poèmes dans les airs comme autant de cartes postales sonores. Il nous conte « la musique des meubles », dispose un poème en « tango pour les jaloux », ou évoque de très émouvante manière la « ballade du poisson de bois ».

Sa langue, surtout, est toujours à l’affût du rythme, de l’écho, des sonorités. Elle explore d’autres langues – notamment austronésiennes comme dans « Formose, 1661 » – à la recherche d’« une série de consonnes et de voyelles riches de sens ».  Et quand les signes et l’image prennent le dessus, c’est pour mieux, tel un pied de nez, appeler la musique à la rescousse – que l’on pense à « La Symphonie belliqueuse », poème à la fois férocement visuel et sonore, ou à « Trois poèmes en quête de chanteur-compositeur ».

C’est là où la traductrice, à son tour, doit se faire interprète. Parfois, comme l’explique en notes Marie Laureillard à propos de « Microcosme II : Cent haïkus modernes », il lui faut même recréer de toutes pièces des sons, des homonymies impossibles à transposer tels quels.

Dans cet art, Marie Laureillard a affiné sa technique, retravaillant parfois de manière importante les poèmes parus précédemment dans Les Confins de l’île, en quête notamment de mots plus incisifs permettant aux vers de conserver leur rythme. Ce recueil est aussi l’occasion de découvrir des poèmes de Chen Li jusqu’ici inédits en français, notamment ceux écrits au cours des années 2010. Et là encore, le dialogue entre les langues, l’inspiration musicale, mais aussi picturale et littéraire, constituent la trame de récits ou d’évocations où Taïwan n’est jamais loin, mais où « les confins de l’île » résonnent de mille échos.

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