Sur les traces de Wu Sheng, entre campagne et forêt

La forêt plantée par Wu Sheng. © Sarah Vandy

C’est un peu par hasard que j’ai connu le recueil de poèmes Grand-mère n’est pas poète de Wu Sheng (吳晟). Mais le hasard fait bien les choses.

Je participais à un stage pour apprendre à construire les murs des maisons traditionnelles taïwanaises, en bambous tressés, recouverts de torchis et enduits à la chaux. Il y avait déjà de la poésie dans l’air ! Rien que le titre du stage laissait songeur : « les petits murs qui dansent », selon ma traduction libre de 小舞壁.

Ce stage se déroulait à Xizhou (溪洲), un canton plutôt rural du comté de Changhua, dans l’ouest de Taiwan. A l’entrée, on nous a demandé d’écrire nos noms sur une jolie feuille d’arbre, que nous avons épinglée sur nos vêtements. Un autre brin de poésie.

Ce lieu, Chen Yuan (純園, « le jardin de la pureté »), n’est pas un simple parc. C’est une petite forêt en pleine campagne ! On nous a raconté qu’elle avait été plantée il y a 20 ans. Parmi les principales espèces plantées, il y avait le « kaki poilu » (毛柿), qui tient son appellation de l’apparence de ses fruits. Cette forêt est aussi un lieu d’éducation à l’environnement, avec des constructions temporaires, qui peuvent accueillir des activités en pleine nature. 

Un jour qu’il pleuvait pendant la pause déjeuner, je regardais les arbres à travers le rideau de pluie formé par les tuiles en bambou « qui pleurent et qui rient » (哭笑瓦). Je flânais dans le bureau de l’association, ouvert aux quatre vents, quand, en levant la tête, je suis tombée sur un poème calligraphié qui parlait de la terre. 

Un après-midi, alors que nous travaillions, un vieux monsieur est venu nous rendre visite. En voyant que j’étais française, il m’a dit qu’il était écrivain et que justement, il devait se rendre en France pour promouvoir son livre qui venait d’être traduit en français, mais le voyage avait été annulé en raison de la pandémie. Quel dommage ! 

Ce n’est que par la suite, au fil des discussions, que j’ai compris que cette forêt, c’était lui, Wu Sheng, qui en avait été à l’initiative. Le lendemain, quelle surprise, sa femme m’a apporté son livre traduit en français! C’est en le lisant que j’ai découvert que cette forêt portait le nom de sa mère, Wu Chun (吳純). Voilà les chemins sinueux qui m’ont conduite à la poésie de Wu Sheng.

J’ai éprouvé un grand plaisir à lire ce recueil, Grand-mère n’est pas poète, poésies enracinées dans la campagne taïwanaise qui vit au rythme des récoltes de riz. Comme un éloge à la simplicité et à l’humilité, les poèmes de Wu Sheng restituent notre rapport à la terre, trop souvent oublié. 

Wu Sheng nous livre aussi ses réflexions sur la vieillesse et la mort, qu’il regarde en face, le cœur serein. Dans d’autres poèmes, il évoque avec dérision ou tristesse les bouleversements de la campagne. Du « dieu du sol » qui prend la fuite pour éviter le rouleau compresseur du béton, à l’installation d’une usine pétrochimique qui sacrifie l’eau, l’air, la terre, les dauphins et les pêcheurs sur l’autel de la prospérité. Face à la dureté de ce monde, la poésie est son refuge.

Cela fait longtemps que Wu Sheng cultive sa conscience écologique, tout simplement en restant proche de la terre, de sa terre, Taiwan, alors que de nombreux Taïwanais rêvent de quitter l’île. Wu Sheng n’est pas engagé que par ses poèmes, il prend aussi soin du vivant à travers ce petit coin de forêt qu’il a plantée. C’est ainsi que, reconnaissant, il rend à la terre ce qu’elle lui a donné. 

Sarah Vandy

Les « kakis poilus » (毛柿). © Sarah Vandy
Dans la forêt Chun Yuan. © Sarah Vandy

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