Sous quelle forme indiquer la nationalité d’un écrivain de Taïwan sélectionné en vue d’un prix littéraire, ou invité lors d’un festival ou manifestation littéraire? Les organisateurs du prix britannique Man Booker International s’étant récemment empêtrés dans un pénible épisode à ce sujet, peut-être n’est-il pas inutile de formuler quelques conseils.
La question, il est vrai, est relativement nouvelle, rares ayant été les écrivains taïwanais à être en lice pour des prix littéraires occidentaux. Ces dernières années, toutefois, ils sont de plus en plus nombreux à retenir l’attention des jurys internationaux. On peut citer Yang Mu (楊牧) et Chu Tien-wen (朱天文), lauréats en 2013 et 2015, respectivement, du Prix Newman de littérature chinoise, aux Etats-Unis, ou Wu Ming-yi (吳明益), lauréat, en France, du Prix du livre insulaire 2014 dans la catégorie « fiction ». On a aussi vu des bédéistes taïwanais sélectionnés ou primés à Angoulême ou Annecy.
Quand Wu Ming-yi a été sélectionné, le 12 mars 2018, dans la longue liste du prix Man Booker International pour The Stolen Bicycle, traduit en anglais par Darryl Sterk, il a exprimé sa joie de voir Taïwan ainsi reconnu – la sélection d’un auteur taïwanais pour ce prix littéraire majeur était une première. Las, quelques jours plus tard, après une intervention de l’ambassade de Chine populaire à Londres, les organisateurs transformaient la nationalité de l’auteur en « Taiwan, Chine », formule que l’ambassade chinoise avait apparemment présentée comme « politiquement neutre », alors qu’il n’en est évidemment rien. Peu après, Wu Ming-yi faisait savoir publiquement que ce choix des organisateurs ne correspondait pas à son point de vue sur la question, et les organisateurs se retrouvaient face à une bronca dont ils se seraient certainement passés. Face à la levée de bouclier, ces derniers sont finalement partiellement revenus en arrière.
Il est clair désormais que rien, pas même les prix littéraires, n’échappe à l’attention du pouvoir chinois dès qu’il s’agit de rapetisser Taïwan sur la scène internationale. Alors que Taïwan, démocratie de 23,5 millions d’habitants, dispose de ses propres constitution, président, gouvernement, parlement, système judiciaire, armée, monnaie, drapeau, hymne, etc., Pékin considère l’île comme une partie intégrante du territoire chinois (même si la république populaire de Chine n’a jamais gouverné Taïwan). Plus que jamais, Pékin déploie toute sa force diplomatique pour revendiquer sa souveraineté sur l’île.
A Taïwan, à l’inverse, la grande majorité de la population considère vivre dans un pays indépendant, soit sous son nom officiel de « république de Chine », héritage du repli des nationalistes chinois dans l’île après-guerre, soit sous la forme restant à proclamer d’une « république de Taïwan ».
Dès lors, comment faire?
Demander l’avis de l’auteur
Le rôle d’un prix littéraire n’est pas de trancher un conflit géopolitique mais de mettre en valeur des livres et leurs auteurs. L’erreur des organisateurs du Man Booker International aura été d’oublier cette règle élémentaire pour mieux se plier aux oukases de l’ambassade chinoise. La question identitaire à Taïwan étant encore débattue, certains auteurs taïwanais pourront préférer l’appellation « République de Chine (Taïwan) », d’autres, sans doute plus nombreux, proposeront« Taïwan, tout simplement. On ne peut exclure qu’une minorité d’écrivains milite pour « Taïwan, Chine ». En tout état de cause, laissez l’écrivain choisir la forme qui lui convient.
Dans le doute, préférer « Taïwan »
Si l’auteur n’est pas joignable, toujours opter pour « Taïwan ». Il s’agit là de la forme la plus consensuelle à Taïwan, qu’on la prenne pour le diminutif ou la métonymie de « république de Chine » ou pour une entité souveraine à part entière. « Taïwan » est en outre le nom géographique de l’île, ce que personne, pas même Pékin, ne remet en cause.
En cas de frilosité ou de crainte d’une intervention des autorités chinoises, il est toujours possible d’indiquer discrètement en tête de la liste des auteurs retenus ou invités la mention« pays/territoire », solution qui n’est certes pas glorieuse mais a le mérite de gentiment renvoyer les censeurs chinois à la niche.
Eviter « Taïwan, Chine », « Taïwan, province de Chine », « Chinese Taipei », « Taipei chinois »
Pour des raisons évidentes, ces appellations sont mal reçues à Taïwan et par ceux ayant à cœur de protéger ce petit îlot de démocratie et de liberté d’expression et de création. Qui plus est, pourquoi adopter le point de vue d’un Etat non démocratique, où les livres sont censurés et des prix Nobel de littérature meurent en détention?
Pierre-Yves Baubry