Mitsuya Daigoro, quatre kanshi

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Le chantier du système d’irrigation de la plaine entre Chiayi et Tainan, dans les années 20.

Poésie chinoise ? Poésie japonaise ? Poésie taïwanaise ? Le statut des kanshi composés par Mitsuya Daigoro (三屋大五郎) est d’emblée complexe. Il pose plus largement la question de l’influence des intellectuels japonais sur la scène littéraire taïwanaise moderne (1).

Quelques mots sur la forme poétique : le kanshi. Poème en chinois classique, généralement un quatrain ou un huitain, formé le plus souvent de vers penta ou heptasyllabiques rimés, le kanshi (littéralement poésie Han 漢詩) a longtemps été la forme poétique privilégiée des élites aristocratiques japonaises et ce depuis l’époque de Heian 平安時代 (794-1185). Au temps de Mitsuya Daigoro, dans un Japon alors fasciné par les littératures européennes, les nouveaux grands auteurs comme Natsume Sōseki (1867-1916) continuent de composer des kanshi (2). L’auteur s’insère donc dans cette tradition littéraire sino-japonaise.

Nous avons fait le choix du vers libre par prudence en essayant autant que possible de coller au sens du texte original. Si la musicalité des vers est atténuée, nous espérons avoir su garder le sentiment de fraîcheur et sans doute de naïveté qui émane de ces quatre poèmes : celle d’un homme parti de chez lui et qui s’attache à transposer sa culture sur une terre qui lui restera, c’est notre sentiment, étrangère. C’est à ce titre que nous avons délibérément choisi de conserver la toponymie japonaise.

Camille Brantes

(1) Mentionnons sur cette question la brillante analyse de Ying Xiong dans son ouvrage universitaire dont on espère une traduction en français, Representing Empire: Japanese Colonial Literature in Taiwan and Manchuria, Leiden: Brill, 2014.

(2) Notons ici la très réussie traduction de Alain-Louis Colas des 207 poèmes composés par l’auteur de Je suis un chat sortie en novembre 2016 aux éditions Le Bruit du Temps.

 


Kanshi sélectionnés et traduits du chinois classique par Camille Brantes

 

臘月如春

滿眼風光日日勻,東寧無處不芳塵。

山茶未謝紅桃笑,臘月風光洽是春。

 

UN HIVER COMME AU PRINTEMPS

Chaque jour mes yeux s’emplissent du reflet du vent,

À Tōnei(1), pas la moindre feuille morte.

Le camélia ne congédie pas le rire du pêcher en fleur,

En hiver le printemps est partout dans le reflet du vent.

 

(1) Dongning en chinois, est le nom du royaume fondé à Taïwan par le loyaliste Ming Koxinga (1624-1662).

 

 

丁卯新年書懷

元日比常殊肅然,迂夫雖懶憚遲眠。

世情舊雨非今雨,節物新年似去年。

孤卓有煙香一炷,遠山無雪蔗連阡。

鼎湖龍去堪悲悼,四海呼號動九天。

 

SOUVENIRS DE LA NOUVELLE ANNÉE 1927(2)

Les premiers jours sont particulièrement graves,

Moi, pauvre fou, ne trouve pas le sommeil.

C’est ainsi, la pluie d’antan n’est pas celle présente,

Les saisons nouvelles ressemblent à celles passées.

Un bâton d’encens brûle sur cette unique table,

La montagne lointaine et sans neige, un sentier de cannes à sucre.

L’Empereur est mort, nous portons le deuil,

Les quatre mers hurlent à tue-tête.

 

 (2) Il est ici fait référence au décès de l’empereur Taishō (大正天皇), survenu le 25 décembre 1926.

 

 

三月三十日余遊烏山頭觀嘉南大圳工事

其三

機器鑿摧縱又橫,砂崩石撼氣難平。

陽春三月晴天日,雷響轟於萬煩聲。

其四

移山堰水半空中,開拓富源誰比工。

請見他年業成日,禹王不得獨擅功。

 

 

 

LE 30 MARS EN VOYAGE À USANTŌ SUR LE CHANTIER DU SYSTÈME D’IRRIGATION DE KANAN(3)

 

3

Les machines cisèlent de long en large,

Du sable surgit des roches, l’air tremble.

Le temps est doux et le ciel est clair,

C’est un bruit de tonnerre qui agresse nos oreilles.

4

On déplace une montagne, un barrage s’élève au milieu du ciel,

On ouvre une source prospère pour qui travaille.

Regardons ces années de labeur se réaliser,

Yu le Grand(4) n’a pas réussi tout seul.

 

(3) Conçu par l’ingénieur japonais Yoichi Hatta (八田與一), le système d’irrigation de Kanan (Chianan en chinois) a été construit entre 1920 et 1930 pour développer la production agricole dans la plaine s’étalant entre Chiayi et Tainan. Le barrage d’Usantō (ou Wushantou) fut l’un des éléments-clés de ce système.

(4) Yu le Grand est le premier monarque légendaire chinois de la Dynastie Xia, associé à l’invention des techniques d’irrigation.

 

 

自大安溪望鐵砧山

奔流激石碎珠璣。

入眼山河麗且輝。

不見鐵砧峰聳翠。

溪聲如雨冷征衣。

 

 

VUE DU MONT KANASHIKI DEPUIS LA RIVIÈRE DAIAN

Le tumulte des flots, ses débris de pierres précieuses.

Dans mes yeux pénètrent la montagne, la rivière, leur splendeur.

Du Kanashiki(5), je ne vois ni la crête ni la chaîne.

Le bruit du torrent est une pluie froide sur l’habit du voyageur.

 

(5) Le mont Kanashiki (Tiezhen en chinois), à Taichung, est bordé par la rivière Daian (Da’an en chinois).

Une réponse à “Mitsuya Daigoro, quatre kanshi

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