Les librairies indépendantes taïwanaises crèvent l’écran

Avec la série de mini documentaires La Poésie des librairies, le réalisateur taïwanais Hou Chi-jan [侯季然] dresse le portrait de 40 librairies indépendantes à Taïwan, en mettant l’accent sur les histoires de leurs propriétaires. Pour « Lettres de Taïwan », il revient sur ses intentions et aborde son amour pour ce que les librairies révèlent d’imprévus et d’histoires fascinantes.

Hou Chi-jan

Hou Chi-jan (à g.) en discussion avec un libraire. (Aimable crédit de Dreamland Image Co. Ltd)

Lettres de Taïwan : De One Day à When a Wolf Falls in Love with a Sheep, en passant par le clip réalisé pour la chanson « We’re All Different, Yet The Same » de Jolin Tsai [蔡依], les films que vous avez dirigés ont pour thèmes principaux l’amour et la romance. Selon vous, La Poésie des librairies est-il une nouvelle histoire d’amour ?

Hou Chi-jan : Je pense que mes films précédents traitaient tous des relations entre individus, et entre les individus et la ville. Quand Dreamland Image Co. Ltd. m’a parlé de son projet de série documentaire présentant 40 librairies indépendantes à Taïwan, j’ai immédiatement décidé de m’intéresser aux libraires. Je pense que centrer le propos sur les gens rend les histoires plus intéressantes.

Avant le tournage, j’ai rendu visite sans caméra à ces 40 libraires. Je voulais leur parler et voir quel genre de personnes ils étaient. Comprendre la vérité de chaque personne était particulièrement important pour moi.

Alors oui, ces histoires parlent d’amour mais je suis parti des gens, de leur amour pour les livres ou pour un lieu. Après le tournage, j’ai réalisé qu’il s’agissait en fait d’un film parlant des libraires et de la vie qu’ils ambitionnent pour eux-mêmes et pour leurs enfants.

Etait-ce facile de convaincre les libraires de participer à ce film ?

L’équipe de production a consacré beaucoup de temps à contacter tous les libraires. Certains ont refusé de participer au projet. La production m’a alors demandé si je voulais les recontacter pour essayer de les persuader, mais je ne voulais pas leur forcer la main. Ils avaient certainement de bonnes raisons de dire « non » et ces raisons, par exemple un sentiment d’insécurité devant la caméra, devaient être respectées.

Certains libraires avaient donné leur accord, mais sous conditions. J’ai donc rendu visite à chacun d’entre eux afin de comprendre pourquoi ils ne voulaient pas apparaître devant la caméra et trouver une manière de tourner avec laquelle ils seraient à l’aise. C’est pourquoi, dans certaines histoires, on peut apercevoir ou entendre les libraires mais on ne voit pas leur visage. Dans d’autres cas, personne n’apparaît à l’écran. J’ai eu besoin de temps pour trouver la bonne solution.

Parfois, alors même que les libraires avaient accepté d’être interviewés, ils ne figurent pas au montage. Dans certains cas, j’ai en effet pensé que l’esprit de la librairie serait mieux rendu sans personne à l’écran. Parfois, la chose la plus précieuse ne s’exprime pas par des paroles. Ces 40 histoires diffèrent les unes des autres, et le résultat provient de choix que j’ai faits au moment du tournage ou du montage.

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Combien de temps avez-vous passé dans chaque librairie ?

J’ai d’abord visité chaque librairie sans caméra, puis nous avons planifié le tournage, avec environ une demi-journée par librairie, soit 20 jours de tournage au total. Pour un film documentaire, c’est assez court mais le travail de recherche mené avant le tournage avait été assez conséquent.

Tourner dans ces lieux parfois minuscules ne devait pas être simple…

Pour le tournage, notre équipe n’était composée que de cinq à six personnes, dont un chauffeur, un assistant de production, un cameraman et un ingénieur du son. Nous avons utilisé une petite caméra grâce à laquelle nous pouvions nous déplacer rapidement et capturer ce qui se passait au bon moment. Je n’avais pas de scénario très détaillé pour chaque séquence mais j’avais fourni à l’équipe une liste de choses que je souhaitais filmer. J’ai aussi posé un certain nombre de questions similaires à tous les libraires, telles que « Quel livre est le plus important pour vous ? » Mais, sur place, nous nous sommes comportés comme si nous n’avions ni scénario ni liste détaillée de choses à filmer. C’est ce qui se passait dans la librairie qui était le plus important. J’adore les situations inattendues.

Parfois, j’ai choisi l’aspect qui me touchait le plus, même si cela n’était pas lié aux livres. Les spectateurs de cette série documentaire savent qu’il est question de librairies, on n’a donc pas besoin de leur rappeler constamment qu’il s’agit d’une librairie.

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Quel libraire vous a le plus marqué ?

C’est sans doute le propriétaire de la Librairie d’occasion Le Bo [九份樂伯二手書店], à Jiufen (ancienne cité minière, Jiufen fait aujourd’hui partie de la municipalité de New Taipei. C’est là qu’a été tourné le film La Cité des douleurs de Hou Hsiao-hsien [侯孝賢]. N.d.T.). Il parcourt le nord de Taïwan en train, bus ou voiture pour collecter les livres usagés. Il m’a vraiment impressionné. Il ne voulait pas que son visage apparaisse à l’écran, alors j’ai discuté avec lui et en ai compris la raison. Il a une véritable passion pour les livres et sa manière de collecter les livres d’occasion est tout à fait originale. Je l’ai suivi du matin jusqu’au soir et ai filmé sa collecte de livres. Au début, comme chaque film ne dure qu’environ 3 minutes, j’avais prévu de le rencontrer devant un appartement où il devait récupérer des livres et de le suivre jusqu’à la station de métro la plus proche. Mais une fois la caméra allumée, nous n’avons pas pu nous arrêter de tourner. Nous l’avons suivi dans le métro, puis dans le train, puis dans le bus, puis avons grimpé la colline à pied jusqu’à la librairie. Nous n’avons presque pas échangé de paroles. C’était pour nous comme une aventure que de pouvoir comprendre les déplacements et les sentiments de cette personne dans la ville.

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D’autres librairies avaient été présentées dans les médias à de nombreuses reprises, ce qui conduisait leurs propriétaires à raconter la même histoire à tout le monde. J’ai donc dû trouver des questions originales ou prendre du recul pour voir les choses sous une lumière nouvelle. Mais j’ai vraiment adoré écouter leurs histoires. Par exemple, l’actuel propriétaire et fils du fondateur de la librairie Jinwangzi [金萬字書店], à Tainan, m’a raconté qu’il y a 30 ou 40 ans, une des activités de la librairie consistait à faire entrer des livres dans la prison de la ville. Les prisonniers voulaient lire, et donc il a trouvé quelqu’un qui puisse introduire des livres dans l’enceinte de la prison. Les livres favoris des prisonniers étaient des livres pornos et il fallait les dissimuler à l’intérieur de livres normaux. A travers ce genre d’histoires, on peut vraiment comprendre l’histoire de la ville et ce qui se passait à cette époque.

Quel lecteur êtes-vous ?

Quand j’étais petit, mes parents m’achetaient des livres. Comme beaucoup de gens de ma génération qui ont grandi à Taïwan dans une ville, mes parents voulaient m’inciter à lire. J’ai eu de la chance d’avoir accès à de bons livres. J’allais aussi lire dans les rayons des librairies spécialisées en bandes dessinées. C’est un souvenir très fort. Lire est très important pour moi.

En tant que réalisateur, êtes-vous inspiré par des livres ?

J’ai longtemps caressé le rêve de filmer des histoires que j’avais lues enfant ou adolescent. Mais j’ai appris la différence qui existe entre la littérature et le cinéma. Un bon livre ne fait pas toujours un bon film et, parfois, de la mauvaise littérature se prête parfaitement à un tournage. L’imagination fonctionne de manière très différente au cinéma et à la lecture d’un livre. C’est pourquoi je ne suis plus aussi pressé qu’il y a dix ans de tourner un film adapté d’un livre. Quand on fait un film, on peu s’inspirer d’un livre mais il faut penser de manière cinématographique.

La version anglaise de l’entretien est disponible ici.

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