Les Taïwanais ont choisi. Tournant la page des deux mandats du président Ma Ying-jeou [馬英九], ils viennent d’élire, avec 56% des voix, Tsai Ing-wen [蔡英文] à la présidence de la république. Première femme à diriger le pays, l’universitaire, ancienne ministre des Affaires continentales, ancienne vice-Première ministre et actuelle présidente du Parti démocrate-progressiste, prendra ses fonctions le 20 mai prochain. Portrait de la nouvelle présidente taïwanaise à travers ses lectures.
D’évidence, la future cheffe de l’Etat n’a pas besoin de mettre en scène sa passion pour la lecture : elle est constamment photographiée, ici absorbée par la lecture d’un dossier, là un livre à la main, là encore profitant d’un déplacement en train ou d’un moment d’attente sur un quai de gare pour dévorer quelques pages. Au début de chaque année, elle a d’ailleurs pris l’habitude de publier la liste des dix titres qu’elle compte lire au cours des mois suivants.
Une liste de campagne
Celle pour l’année 2015, publiée au moment du Nouvel An lunaire, reflétait-elle les coups de cœur de la candidate ou s’apparentait-elle à un savant outil de communication électorale ? Dans les deux cas, elle en dit beaucoup sur la nouvelle présidente taïwanaise. En tête de la liste figurait un manga japonais, Pourquoi les chats veulent tous être le chef [為什麼貓都要當老大] de Sugisaku (un mangaka auteur de plusieurs séries dont Kuro, un coeur de chat paru en français aux éditions Kana). Tsai Ing-wen a deux chats : « Think Think » [想想] and « Ah Tsai » [阿才], et ces derniers ont eu les honneurs des médias. On pourra aussi voir dans cet ouvrage un clin d’oeil malicieux à l’année électorale qui s’annonçait. Quoi qu’il en soit, on imagine toutefois mal le président chinois Xi Jinping [習近平], ni même le président taïwanais sortant Ma Ying-jeou, placer leurs lectures annuelles sous le signe du Japon. D’ailleurs, Tsai Ing-wen enfonçait le clou avec, en deuxième position, Ma boîte [我的箱子], l’autobiographie de l’actrice taiwano-japonaise Tae Hitoto, un livre traitant des thèmes de la mémoire familiale et de la quête d’identité.
Venait ensuite l’ouvrage collectif Un Testament impossible à transmettre : se souvenir de la génération perdue des années de la Terreur [無法送達的遺書: 記那些在恐怖年代失落的人], une collection de lettres d’adieu écrites en prison par les victimes de la Terreur blanche, de biographies familiales et d’analyses historiques destinées à écrire l’histoire de la répression politique à Taïwan sous le régime du Kuomintang. Autre titre lui aussi éminemment politique, Chaque parapluie [每一把傘] des Hongkongais Joe Lee [ 李鴻彦] et Martin [馬丁] et qui retrace le mouvement des parapluies à l’automne 2014 à Hongkong.
Tsai Ing-wen poursuivait sa liste de souhaits de lecture avec Age of Ambition: Chasing Fortune, Truth, and Faith in the New China, du journaliste américain Evan Osnos, correspondant du New Yorker à Pékin ; The Road : une vie à petite vitesse dans une Chine à grande vitesse [大路:高速中國裡的低速人生], de Zhang Zanbo [張贊波], récit tiré de l’expérience du tournage du film The Road ; La Fabrication des ménages à bas revenus [製造低收入戶], un ouvrage académique signé Hung Po-hsun [洪伯勳] sur les conséquences des pratiques bureaucratiques en matière d’aides sociales ; ou encore L’Indomptable Rose : une mère et le mouvement des tournesols [壓不扁的玫瑰:一位母親的318運動事件簿] de l’universitaire Yang Tsui [楊翠], petite-fille de l’écrivain Yang Kui [楊逵] et mère d’un des leaders du mouvement des tournesols, Dennis Wei [魏揚].
Parmi les envies de lecture de Tsai Ing-wen pour 2015 figuraient enfin Autoroute 105 : histoires à la frontière thaïlando-birmane [105號公路:泰緬邊境故事] d’Yvonne Huang [黃婷鈺], et Dans le café de la jeunesse perdue du prix Nobel de littérature français Patrick Modiano.
Promotion de la mémoire collective des Taïwanais, prise en compte de la Chine, propositions de politiques publiques plus justes et efficaces, soutien aux mouvements sociaux et démocratiques, intérêt pour l’Asie du Sud-Est : les envies de lecture de la candidate d’alors reflètent largement son message politique.
Lectures récentes
Retrouvons Tsai Ing-wen en fin d’année 2015, interviewée par le magazine littéraire taïwanais Unitas. Parmi les titres qui l’ont marquée l’an dernier, elle cite Le Capital au XXIe siècle de Thomas Piketty, Des Choix difficiles d’Hillary Clinton, ou encore les Discours du grand-père-président des plus pauvres du monde, un ouvrage illustré par l’auteur nippon Yoshimi Kusaba et consacré à la pensée de l’ancien président uruguayen José Mujica. Elle cite aussi Survivre 60 ans : Wang Pei-wu et ses six filles [一甲子的未亡人:王培五與她的6個子女] de Lu Pei-ling [呂培苓], à propos d’un épisode méconnu de la Terreur blanche, sur l’archipel de Penghu.
Dans cet interview, Tsai Ing-wen dit consacrer beaucoup de temps à la lecture de la presse internationale et, malgré un emploi du temps chargé, conserver du temps en fin de journée pour la lecture d’oeuvres littéraires ou de sciences sociales. « Je fais partie de ces gens qui, s’ils passent trois jours sans lire, sont perdus », confie-t-elle. Son auteur préféré ? C’est une femme, Shih Shu-ching [施叔青], à qui l’on doit la « Trilogie de Hongkong » et la « Trilogie de Taïwan » (et dont un ouvrage a été traduit en français sous le titre : Elle s’appelle Papillon).
« Les livres sont d’une grande aide pour comprendre le monde et le point de vue des autres », confie Tsai Ing-wen à la fin de l’interview accordée à Unitas. On pourrait ajouter qu’ils sont aussi d’une grande aide pour dresser le portrait de la première femme présidente à Taïwan.
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