Taiwan, combien de mots ?

Ecrire, c’est choisir ses mots, et Dieu sait si Taiwan nous en met plein la vue, de mots. Sur l’invitation de L’Asiathèque, Aurélien Rossanino en a adopté 80. Une sélection généreusement personnelle, qui a peu à voir avec la fréquence lexicale de ces brins d’idiomes et beaucoup plus avec la curiosité, le sens de l’observation et les coups de cœur – et d’oreille – de ce trentenaire à la fois éditeur, animateur de podcasts, enseignant et critique musical, installé à Taiwan depuis quelques années.

On est ici à mille lieux de ces guides promettant de mémoriser les mots les plus utiles à la conversation dans un pays lointain, ou d’en faire un portrait sociologique à l’aide de grandes catégories conceptuelles. 

Rassurez-vous, l’auteur ne fait pas l’impasse sur le bubble tea, les supérettes, les temples et les scooters : nous sommes bien à Taiwan. Mais les 80 billets composés autour d’autant de mots ou d’expressions reflètent avant tout « son » Taiwan, le pays qui s’est dévoilé à lui au fil de ses rencontres avec des collègues, des élèves, la famille de sa compagne ou encore des musiciens – et non des moindres – de la scène indépendante (le livre s’accompagne même une playlist en lien avec les textes).

La collection dans laquelle prend place cet ouvrage propose un voyage en 80 mots. Au bas mot. Car les 80 petits chapitres ainsi constitués donnent souvent l’occasion à Aurélien Rossanino d’explorer une famille entière de mots et d’expressions, d’en cerner les nuances, de broder un petit récit, avant de s’en servir comme tremplin vers le chapitre suivant ou d’en tirer une chute rêveuse, acrobatique ou tendrement ironique, c’est selon.

On passe du mandarin au taïwanais, avec des touches de hakka, de paiwan, de japonais et d’anglais (à l’image de la polyphonie des langues parlées à Taiwan). On s’étonne, on sourit, on s’émeut, on se souvient, on apprend – même quand on vit à Taiwan depuis longtemps -, on rit franchement aussi parfois. Le rythme déjà trépidant permis par le format de la collection s’enrichit ici d’expérimentations littéraires – des petits personnages aussi imaginaires que leur nom est monosyllabique accompagnent le lecteur pendant quelques chapitres avant de prendre la poudre d’escampette (ce n’est pas en rabaisser le statut de dire qu’ils font penser à ces peluches que les lycéens et lycéennes accrochent à leur sac à Taiwan, êtres étranges dont on ne saisit pas complètement la signification mais qui ont visiblement leur importance – et sont mignons).

Et puis il y a dans les mots, de l’auteur cette fois, ces formules si juste. En plus de celle citée par Gérard Macé dans la préface de l’ouvrage, relevons celle-ci, qui résume bien ces 80 mots de Taiwan : « Alors, la vie vaut la peine d’être taïwanaise ».

Pierre-Yves Baubry


PS : Ne prenez pas toutes les affirmations d’Aurélien Rossanino au pied de la lettre. Il est entendu que la guichetière du stade de baseball de Xinzhuang a très bien saisi la nuance pas complètement baseballistique de la requête que lui adressait l’auteur de ces lignes.

Laisser un commentaire